On n'exagère pas en disant que, de 1746 à 1772, pendant un quart de siècle, la vie intellectuelle et morale de la France – puisque la France rayonnait à ce moment sur l’Europe – celle de l'Europe entière ont eu pour centre la publication de l’Encyclopédie. Elle est le « nœud vital » du XVIII^e siècle. Il n'y a pas eu, pour la suivre avec une curiosité ardente, que des hommes de science et de lettres : la cour et la ville, les salons et les académies, les clubs et les cafés, les journaux, le théâtre s'en sont occupés, passionnément. Pour ou contre, le gouvernement, le parlement, le clergé sont intervenus. Les interruptions, les condamnations, les résurrections de l'Encyclopédie sont, à tout prendre, les grands événements de cette partie du siècle, en constituent les dates mémorables – avant 1789. Et la Révolution – dont Condorcet, héritier des Encyclopédistes, a été successivement le héraut et la victime – peut être considérée, à beaucoup d'égards, comme le dernier épisode d'une histoire des philosophes « conjurés ».
Si consciente et si vive que fût, dès le principe, notre sympathie pour les Encyclopédistes, elle n'a fait, dans un constat plus intime, que croître et se justifier davantage. Les initiateurs de l'œuvre, Diderot et d'Alembert, – l'un, mathématicien, qui fut secrétaire perpétuel de l'Académie française, l'autre, littérateur polygraphe, qui aimait « à la fureur » les mathématiques – nous ont émerveillés par la diversité de leurs dons, par la force et la souplesse de leur esprit, par la générosité de leur nature.
 
Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition « L'Encyclopédie et les encyclopédistes » organisée par le Centre international de synthèse et présentée par la Bibliothèque Nationale, sur le site Richelieu, en 1932.