Le petit roman de l'abbé Prévost s'offre à nous dans une production immense, celle d'un polygraphe dont la curiosité était étendue, dont l'esprit était agile, dont la plume était habile. Son nom est ainsi demeuré célèbre alors qu'il était condamné à ne survivre que grâce aux catalogues de nos bibliothèques. Si la Bibliothèque Nationale l'évoque aujourd'hui, ce n'est pas pour faire renaître sa vie, qui fut pourtant remplie d'aventures plaisantes, ni son œuvre, riche de détails piquants sur son temps, c'est pour tenter de faire comprendre l'étrange fortune du roman et  de montrer comment est né et s'est perpétué le « mythe » de Manon Lescaut.
Dès l'origine, quand il parut en 1731 au tome VII des Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde, on dégagea de cette gangue ce mince et précieux filon ; dès 1733 on commença de l'éditer séparément. Le succès est attesté par les éditions qui se multiplièrent. La légende de Manon s'est tout de suite établie, et on ne s'étonne pas qu'un écrivain comme Montesquieu l'ait prise en considération et qu'il ait écrit dans ses Cahiers intimes : « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin... plaise, parce que toutes les mauvaises actions du héros ont pour motif l'amour qui est un motif noble quoique la conduite soit basse. Manon aime aussi, ce qui lui fait pardonner le reste de son caractère. »
 
Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition « Manon Lescaut à travers deux siècles » organisée par la Bibliothèque Nationale présentée sur le site Richelieu, galerie Mazarine, du 15 novembre 1963 au 31 janvier 1964.