Le XVIII^e siècle aura été une des grandes époques de l'histoire de la gravure française. Il a produit des œuvres parfaites dans les genres les plus divers, dans le livre de fêtes comme dans le livre à vignettes, dans le portrait comme dans le paysage, dans les grandes compositions comme dans les menues scènes de mœurs appliquant d'abord les procédés les plus éprouvés (le burin et l'eau-forte), mais aussi la gravure en manière de crayon, la gravure en manière de lavis, la manière noire et le pointillé, inventant la gravure en couleurs. Partout c'est le triomphe du beau métier, d'un métier que deux siècles avaient lentement élaboré, que de grands artistes avaient porté à sa perfection.
Il existe une autre forme de la gravure qui a été jusqu’à ce jour trop négligée : c’est la gravure originale. Notre époque, qui est celle des peintres-graveurs, peut mieux que les précédentes l’apprécier, découvrir ce qu'elle a d’expressif et de spontané, être sensible à l’accent particulier qui est le sien, dans l'ensemble de la création d’un Watteau, d'un Boucher, d’un Fragonard. On a enfin mis à son rang, grâce en partie au beau travail d’Émile Dacier l’œuvre de Gabriel de Saint-Aubin, qui fut le plus libre des artistes.
Nous sommes bien ici dans le siècle de Diderot, dans le siècle qui proclame et pratique la liberté dans l’art comme dans les ouvrages de l’esprit, tout en demeurant fidèle à la perfection dans la forme. À côté des chefs-d’œuvre de ceux qu'on peut désigner sous le nom de graveurs professionnels, à côté de la gravure de reproduction qui traduit la vie de société, ses mœurs, ses modes, ses divertissements, il y a place pour la gravure originale que M. Vallery-Radot définit, distinguant les peintres-graveurs des peintres-dessinateurs, distinguant aussi les professionnels des amateurs dont l'apport est si intéressant. La gravure originale de ce siècle est faite de tout cela.
 
Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition « La gravure originale en France au XVIII^e siècle » présentée par la Bibliothèque Nationale, sur le site Richelieu, galerie Mansart, du 22 janvier au 15 mars 1960.