Forain n'aimait pas l'éloquence. Merveilleux pour trouver un mot, il avait l'horreur des phrases. Président de la Société nationale des Beaux-Arts, quand il parlait, chaque année, à l'ouverture du Salon où se rassemblait toute l'élite de la société parisienne, il se prêtait bien malgré lui aux banales formules des discours. Il était de ceux, trop rares, qui prennent le temps de faire court. « Combien d'heures pour ce dessin ? » « Cinquante ans », répondait-il. Il y avait pensé toujours. De là la force de son trait, trait de crayon et trait d'esprit incisif et décisif. L'esprit trace, le crayon parle. Forme et lettre, image et légende demeurent inséparables. Impossible d'ajouter, impossible de retrancher. Tout y est et pas davantage. Son esprit n'était pas celui dont on peut dire qu'il mène à tout et qu'il ne suffit à rien. Lui-même, il était esprit, dans la hauteur d'un front pensif, dans le plissement des lèvres, ironiques et souriantes, dans l'inflexion d'une voix dont le sarcasme masquait une émotion mal apaisée, dans un regard clair comme l'azur et pénétrant comme une lame. Esprit, il l'était comme Voltaire. Bien des livres auront passé quand vaudront encore ses sentences.
 
Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition « Jean-Louis Forain (1852-1931) peintre, dessinateur, graveur » organisée par la Bibliothèque nationale de France à l'occasion du centenaire de sa naissance, et présentée sur le site Richelieu, galerie Mansart, du 25 juin au 30 septembre 1952.