En 1669, Louis XIV donnait à un poète peu connu, associé à un organiste moins réputé encore, des lettres patentes pour des « Académies d'Opéra ou représentations en musique et en langue française sur le pied de celles d'Italie », et, pour ce faire, de « prendre du public telles sommes qu'il advisera ». Ainsi fut créée l'Académie nationale de Musique, dont la Bibliothèque nationale et la Bibliothèque de l'Opéra, qui lui est administrativement rattachée. 1672 marque d'ailleurs dans ce domaine une date plus importante encore : l'octroi du privilège à Jean-Baptiste Lulli, surintendant de la musique du roi, qui, durant quinze années, fit uniquement représenter, à raison d'un par an, des opéras qu'il avait lui-même composés.
Il est étrange de penser que l'Opéra français fut installé en France par un Italien, un homme aux talents les plus divers, violoniste, claveciniste, batteur de mesure, guitariste même, maître à danser, danseur, metteur en scène, compositeur, sans oublier ses capacités d'administrateur, son art de courtisan et son génie pour les spéculations foncières. Il était rapidement devenu l'organisateur officiel des divertissements royaux, avait collaboré avec Molière à des ballets et mascarades et s'était haussé jusqu'à la tragédie lyrique qui, réunissant tous les arts, lui permettait d'utiliser tous ses dons.
Ses opéras sont à l'image de son temps. Ils en reflètent la volonté de pompe et de grandeur, par le choix des livrets qui évoquent la rivalité des hommes et des dieux, par l'architecture des décors qui se veulent grandioses, par ces constructions musicales solennelles, par l'assemblage de chœurs et d'orchestres assez importants pour l'époque. Ils en expriment aussi (et la collaboration de Quinault n'y est pas étrangère), l'attrait pour le merveilleux et pour les machines, la préciosité, le goût de l'héroïsme sentimental. Lulli n'en a pas moins cherché à simplifier son art, à clarifier son ordonnancement, à alléger les récitatifs, à dégager des mélodies, à introduire dans ses symphonies jusqu'aux rumeurs de la nature. Mais nous comprendrions mal l'extraordinaire popularité qu'il eut de son vivant, si nous ne devinions qu'il a mieux que quiconque représenté son siècle.

 
Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition « Deux siècles d'opéra français », organisée par la Bibliothèque Nationale et présentée sur le site de la Bibliothèque-musée de l’Opéra, du 11 avril au 31 juillet 1972.