Des prolétaires qui revendiquent la journée de travail de huit heures. Des parlementaires qui votent le service armé de trois ans. Des dignitaires qui rêvent de progrès indéfini et de paix universelle, sans négliger les aises et les dividendes de la conquête coloniale. Des militaires qui tirent de la conception bergsonienne de l'Élan vital une intéressante théorie de l'offensive à tout prix et de la mort à tout va : le décor est planté, le texte appris, la musique connue ; il n'est que de se mettre à l'écoute des Cloches de Bâle, bientôt sonnera le glas dont il serait assez vain de se demander pour qui il sonne.
Les guerres balkaniques, comme les saisons, se succédaient en cette Europe où un tribun et un archiduc n'avaient plus que quelques mois à vivre. Anatole France et Barrès faisaient office d'arbitres suprêmes des élégances de l'intellect ; Caillaux et Clemenceau se comportaient en co-princes de la mode politique ; Le cubisme commençait à s'affirmer et Debussy allait transcrire pour piano Trois poèmes de Mallarmé. Au terme d'un véritable septennat ministériel, le regretté Dujardin-Beaumetz venait d'abandonner son sous-secrétariat d'État aux Beaux-Arts pour un fauteuil de sénateur. En abattant leurs dernières cartes, les chancelleries gâchaient leurs dernières chances. Ainsi allait le train du monde dans l'attente et la crainte d'un déraillement depuis longtemps prévu.

Ressusciter 1913 qui conclut ce XIX^e siècle que Léon Daudet a trop vite qualifié de stupide et dont on ne se lasse pas de découvrir combien il fut inventif ; considérer que, guerre ou pas, cette ultime année marque aussi l'avènement d'un nouvel univers culturel, tel est le thème, tel est le propos de cet ouvrage.
 
Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition « 1913 », organisée par la Bibliothèque nationale à l'occasion du 70^e anniversaire de la fondation de la Société des Amis de la Bibliothèque Nationale et présentée sur le site Richelieu, galerie Mansart, du 21 avril au 13 juillet 1983.