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Léon Tolstoï

Sophie Laffite

Un des plus grands chocs de la vie intellectuelle et morale de Tolstoï fut sa rencontre avec Rousseau. Il reconnut immédiatement un frère dans ce « prophète du cœur », possédé comme lui-même par une manie moralisante ; prêchant comme lui le retour à une vie naturelle, niant, comme lui, la civilisation, les arts et les sciences qui corrompent l'homme parce qu'ils le détournent de la nature, source de toutes vertus. Pendant longtemps, c'est incontestablement Rousseau qui fut, pour Tolstoï, le numéro un de la littérature française. Ce n'est certes pas pour son « art » que Tolstoï aimait Rousseau car ce n'est ni la beauté esthétique, ni le « bavardage artistique » des autres écrivains qui pouvait attirer et surtout retenir Tolstoï mais l'élément moral qu'il trouve en eux, le degré d'utilité qu'ils présentent pour le perfectionnement intérieur de l'homme et l'amélioration de ses rapports avec son prochain. En résumé, l'apport intellectuel et moral qu'ils fournissent à Tolstoï lui-même pour l'accomplissement du grand rêve qu'il caresse depuis sa jeunesse : « Une discussion sur la Divinité et la foi m'a amené à une grande idée, à la réalisation de laquelle je me sens capable de consacrer toute ma vie. Cette idée, c'est la fondation d'une nouvelle religion, correspondant au niveau de développement de l'humanité, la religion du Christ, mais purifiée du dogme et des mystères, une religion pratique ne promettant pas le bonheur de la vie future, mais le donnant sur cette terre. » Cette religion pratique, dénuée de tout mysticisme, cette vaste utopie sociale, basée sur les principes de la non-résistance au mal par la violence, de la participation de tous aux travaux élémentaires nécessaires à la vie et qui offre à chaque individu les recettes permettant de lutter contre les injustices sociales (limitation des besoins, travail manuel, retour à la terre) dérive à beaucoup d'égards de Rousseau.

Tolstoï a été à la fois le Rousseau et le Luther de la Russie. Il fut essentiellement un homme du XVIIIe siècle par son rationalisme foncier, son agnosticisme, sa foi dans la bonté originelle de l'homme. Il fut un homme d'avant le romantisme, d'avant l'expressionnisme et le symbolisme, un anti-mystique, un anti-symboliste, et c'est là que gît sa fondamentale divergence d'avec Dostoïevski. Si Tolstoï appartient encore au XVIIIe siècle, Dostoïevski préfigure entièrement le XXe. En avance sur son temps, il fut peu compris et souvent mal jugé. Ce n'est qu'au XXe siècle, après les Symbolistes, après Nietzsche, Bergson, Proust et Kafka, que Dostoïevski occupe sa vraie place et prend figure de précurseur. Si l'un, Dostoïevski, fut essentiellement un anthropologue pour  qui seul importait l'homme et son destin profond, pour l'autre, Tolstoï, la vie ne semblait être, au contraire, qu'une émanation de la nature, une sorte de fluide vital qui circulerait perpétuellement à travers les hommes, les animaux et les plantes, et, tout en observant avec une incomparable acuité ce processus biologique, il se révoltait contre les lois qui le régissaient, lois amorales qui le choquaient et l'indignaient.

 

Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition « Léon Tolstoï (1828-1910) », organisée par la Bibliothèque Nationale à l'occasion du cinquantenaire de sa mort et présentée sur le site Richelieu, galerie Mansart, du 16 décembre 1960 au 4 mars 1961.

Informations pratiques

Description
Broché, 106 p., 21 x 16 cm
Date de parution
1960
ISBN/EAN
2-7177-0764-6 /
9782717707649
Editeurs
  • Bibliothèque nationale de France
Distributeur
Bibliothèque nationale de France
Disponibilité
Indisponible

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