« Moult est fou ki entre dans la mer » : étrange proverbe que celui-ci, extrait de cette chanson de geste du XIII^e siècle, Anséïs de Carthage, qui fait du voyage en mer une folie. Oui, prendre la mer, c’est toujours prendre un risque : sur les « chemins humides », les repères se brouillent, le sol, agité, se dérobe, et les monstres sont à l’affût, dans les profondeurs obscures. Mais c’est folie aussi, parce que cet inconnu auquel le marin se confronte représente, tout autant qu’un monde hostile et inhospitalier, une part inconnue de soi, folle, que seuls les grands dangers et les grandes peurs permettent de dévoiler.
Entrer dans la mer exige sans doute ce courage, mais qui s’appuie sur la raison, comme le montre à foison l’histoire de la conquête progressive du milieu. Cabotage, cartographie, connaissance des récifs et des marées, phares et balises régulièrement plantés sur les côtes : autant de sciences, de dispositifs, de mécanismes, de machines et d’architectures, fruits de l’ingéniosité humaine pour quadriller, encadrer, domestiquer, même de loin, cette masse mouvante et monstrueuse. Mais afin d’y parvenir, d’accroître notre connaissance de ce lieu si étrange, que de ruses aura-t-il fallu déployer ! Ulysse, aux « mille tours », accepta ainsi de se rendre vulnérable au chant des sirènes en refusant la cire qui l’aurait rendu sourd ! Attaché au mât du navire, et soutenu par ses compagnons, il offre un bel exemple de ce que la découverte suppose et appelle d’entraide collective. La mer terrifie, la mer fascine : elle constitue, dans les représentations que les hommes s’en sont faites au fil du temps, un défi sans cesse lancé à notre inextinguible désir de maîtrise des choses. Elle est aussi un appel. Découvrir, apprendre encore, s’aventurer, au risque même des tempêtes : que cet esprit du voyage en mer nous accompagne sans défaillance tout au long de l’an 2005.